Santiago. Plus d'un tiers de la population grouille là dedans. Des buildings, y'en a. Des hauts, des très hauts, des qui n'ont pas peur des terremoto. Y'a aussi des parcs, des grands parcs ou flemmardes les amoureux, beaucoup d'amoureux, qui s' embrassent, tout le temps. Ils ne doivent pas avoir beaucoup de choses à se dire? Moi j'en ai des choses à dire, quand on est à l'étranger on a les yeux grands ouverts, tout le temps. Plus que la normale, le petit air hibou du bon voyageur. Le rio Mapocho, il est marron, enfin caca d'oie, il a du bouillon, il emulsionne, il est pressé de quitter le monde urbain pour se jeter dans le Pacifique, s'y perdre. Comme moi je m'y suis perdue la première fois ou j'ai posé les yeux dessus. A Santiago, y a aussi des cerros, mais même le cerro San Cristobal n'est pas assez haut pour passer au dessus du smog comme ils l'appellent, ce nuage de pollution qui plane au dessus de la ville, comme un oiseau malveillant. A moins qu'il serve à lutter contre les UV ? Parce qu'au Chili la couche d'ozone a décidé de se faire la male. En décembre il fait chaud, plus de 30degrés, on comprend alors vite qu'une balade improvisée à 14h s' apparente au plaisir d'aller marcher dans un fumoir blindé, et lorsque toutes les voitures degazent ensemble je crois que chaque jour s'agrandit la patientèle de pneumologie. Pouah! J'ai les poumons pleins de gaz, je lève les yeux au ciel pour chercher un peu de meilleur. Ah non je lève les yeux au smog. Heureusement, il est possible de trouver du plaisir partout, et ca reste tout de même charmant de traverser la ville, dans tous ses versants. Du quartier Brazil, au Bellavista, l'immense rue Augustina, mais tout le contraire de notre Champs Élysée, le marché artisanal Los Dominicos tout à l'Ouest ou il fait bon passer une matinée. La plaza de los Armas, pour un peu de dynamisme, les boutiques ambulantes qui vendent des nouvelles pas fraîches et des cacahuètes à la menthe, à la fraise, à la mûre ou nature...mais jamais l'envie de boire un café en terrasse le journal à la main. Je crois qu'ici ça ne se fait pas.
Des écoliers en uniformes ne se pressant pas pour aller à l'école. Des tatouages, des tatouages, des tatouages, y'a certainement plus à regarder sur la peau des gens, que dans les vitrines.
Dans quelques jours c'est Noël, quoi? Ah c'est pour ça le sapin défréchi au milieu de la place de l'Italie, hurlant de soif, et les trois loupiotes qui pendent entre deux édifices, tous les 900 mètres. Ah non, ce n'est certainement pas Strasbourg ici. Pas la même magie, mais au diable Noël, fait bien trop chaud pour manger du foie gras.
 J'aime bien le Chili, les gens sont tous petits. Je me sens à mon aise ici. Et puis, surtout les gens sont très gentils, accueillants, bienveillants. Parfois même trop, car le chilien n'ose jamais dire "non", "je ne sais pas" et voilà comment tu te retrouves à te diriger dans la direction opposée du point de chute. Pourtant ce n'est pas faute d'avoir des indications détaillées! Alors attend laisse moi réfléchir (les yeux plissés, un doigts sur la bouche, avec la mine incertaine de celui qui va dire une grosse bêtise), ah oui alors, tu vas tout droit, dans trois blocs d'immeubles tu tournes à droite, tu verras un petit magasin pour chiens et deux arbres à côté dont un vient d'être taillé, et tu verras il y a des voitures garées, (hum hum des voitures dans Santiago...) tu continues...et là ça se corse, il vient de passer de la certitude au néant. Plus rien, nada. Voilà qu'il appelle à l'aide. Buen dia! Tu connais cette adresse toi? Et nous voilà cette fois, avec deux chercheurs non diplômés, les yeux encore un peu plus plissés, la seule différence est qu'il regarde de l'autre côté. Vous reproduisez cette scène cinq ou six fois dans les grands jours de chance et vous avez donc six devoués guides touristiques qui d'apparence n'ont pas l'air de connaître plus loin que le bout de leur rue, en cercle dos à dos, les yeux plissés.
Je vais donc m'en remettre à ma carte, il fait chaud, je transpire, j'ai ma maison sur le dos, je prend ma bouffée de Ventoline gazeuse lorsque le feu passe au vert. Et je me marre, j'aime ces moments.
 Au milieu de la ville, un oasis. La Casa Roja. Bonjour, j'aimerai travailler ici, possible? Simone la plus brésilienne des chiliennes (ou peut-être l'inverse je sais pas) fait un accueil époustouflant, comme si on ne s'était pas vu depuis 10ans. Dommage que 'no entiendo NADA'. C'est là que tu déploies tes rames, bien conscient que tu risques de les garder un bon moment. Et dans ces moments, quoi de mieux que de passer le balai? Lui au moins il ne te demande pas de parler. Deux semaines de participation dans la vie d'une auberge de backpackers, à croire que je n'ai jamais été infirmières de ma vie, tellement je prend plaisir à faire la vaisselle et à servir n'importe quoi au bar/piscine parce que 'no entiendo NADA'. Une famille d'adoption, les premiers repères c'est eux. Quoi de mieux qu'un bon abrazo chilien chaque matin, ces mêmes visages qui te sourient tous les jours, te serrent fort dans leurs bras et te font péter un becot sur la joue. J'adore. Impossible de ne pas passer une bonne journée après ça. Les premiers asado, fameux barbecue d'Amérique Latine c'est ici aussi, et quand c'est Ezequiel l'Argentin qui s'y colle le résultat est à se taper le cul parterre. Une auberge c'est un peu vivre constamment à travers les autres. Tous voyages, pour plus ou moins longtemps. On discute, on échange, on fait connaissance, on crée des liens, après une bière, deux bières, trois bières, la magie opère, on rit, on chante, on se confie...Et demain tu t'en vas, toi aussi. Dommage, on ne se reverra certainement jamais, mais 'cuidate' et beau voyage. Et nous, on reste là, dans cette auberge, demain je ferai la connaissance de quelqu'un d'autre, dont je devrai très vite me détacher à nouveau. Parfois, certains reviennent, nous on est toujours là, rien à bougé. On ne s'est pas vu de 7jours, ca a semblait durer 6mois, alors raconte c'était comment à Valparaiso?! Nous aussi, on a pleins d'histoires à raconter, celles des autres.
Certains vivent ça depuis des années, habitent dans cette auberge; une petite fille grandi même dans ce contexte là, aussi riche que déchirant. Tu reviendras bientôt? Oui Isidora, je reviendrai te voir.