Le portail s' ouvre, cinq compagnons sur pattes arrivent.
Oh les gars voilà les nouveaux avec leurs têtes de bien français. Tu crois qu'ils ont ramené du sauciflar? demande Sacha.
J'sais pas mais ils sont reputes pour bien bouffer, alors on devrait en avoir plein les gamelles, répond Jordy.
Amy en bave déjà, assise à côté de son assiette de scout.
Dans la bande, il y a Bella, la doyenne. Une grande noire avec une petite tête, des petites oreilles, mais qui sait se faire respecter. Ici elle supervise, on l'imagine derrière son bureau écouter du Charles Trenet toute la journée, à la différence que ce n'est pas la douce France sa bien-aimée. 
Arrive ensuite Amy, bergère allemande de 6 ans, elle a une certaine obstination pour la nourriture, son toc, lécher toutes les fins de gamelles des autres. Elle est plus Patrick Fiori elle, et porte peu d'intérêt aux connaissances générales. L'expression 'je ne m'y ferai pas reprendre deux fois" elle ne connait pas. 
D'ailleurs Sacha non plus. 4ans et déjà plus toutes ses dents. C'est pour sûr le plus drôle avec sa mâchoire inferieure trop courte, et sa langue qui dépasse. On l'a tout de suite imaginé aimer le raisin, et profiter pleinement du domaine viticole. Tout les matins avec Ruan, l'homme d'entretien, ils se renversent leur petit rouge. Et Sacha est le seul à ne pas vouloir d'eau dans ses croquettes. Un air benet, un peu mal foutu, on l'imagine faire rire les autres avec un canon dans le nez. Chaque soir on le regarde passer en marchant sur les deux pattes avant, "et regardez, regardez, ce que je sais faire moi. Aïe." ca se termine toujours une chute sur la truffe, Bella vacillant de la tête, "c'est tous les soirs la même chose..."
Imaginez à present un joueur de football américain, 20ans, des muscles tant qu'il en faut, les cheveux peignés à l'arrière, blond de préférence, une casquette à l'envers, toujours sur les bons coups, toutes les filles sont à ses pieds, et en plus de ça il est carrément sympa. Et bien voilà Jordy, 2ans, berger allemand mais pour sûr pas de la même famille qu'Amy.
Le petit dernier c'est Baco, aussi stupide que mignon, il reste surtout très feignant. Son surnom 'Lazy boy' mais Baciño pour les moments plus aimants. Ses maladresses quotidiennes nous font marrer autant que ça semblent créer le désespoir dans les yeux de ses compagnons à quatre pattes.  
Poblaciòn, presque 3000 habitants mais sans savoir où ils ont bien pu passer. Une route cabossée, et de ça de là, sur quelques mètres une petite boutique, un kiosque, une petite boutique, et un autre kiosque. Une église? Pas trouvée. Pour arriver chez Matt, un long chemin de sable, où tous les propriétaires de vignes du coin roulent en pick-up et soulève la poussière. Pour les autres ce sera en vélo,  ils mangent la poussière. L'écart social est bien présent au Chili. Je commence à percevoir.
Ce que l'on regarde ici, des champs de vignes, à perte de vue, dans chaque parcelle. Elles sont belles à cette époque,  les herbes ne sont pas encore trop hautes, les grappes commencent à se former, vert pomme avant de devenir noir raisin. Les allées sont bien faites, rangées, bien fagotées, les branches ne tombent pas encore sous le poids des fruits, juteux et généreux. On a envie de les bichonner les vignes, comme un enfant. Chaque matin, avec bienveillance, s'assurer qu'elles ne souffrent pas, qu'elles n'éternuent pas, qu'elles grandissent droites et fières des fruits qu'elles protègent sous leurs feuilles, comme une mère. Ce sont des enfants-mères les vignes, je divague. 
Mais comment ne pas divaguer ici... Un parterre nuancé de verts, faisant face au bleu limpide d'un ciel où peu de nuages n'osent y poser leur nid par peur de s'y ennuyer. En ligne de fond, délimitant l'horizon se dresse majestueusement les reliefs blancs et abrupts de la Cordillère des Andes. Impossible de se lasser d'un pareil spectacle. Les après-midi sont lourds, on ne trouve pas le courage de parler, encore moins de travailler, la chaleur fait danser ses ondes transparentes au-dessus du sol. Les chiens dorment, difficiles même de japper. Le temps est suspendu, le coq idiot s'est enfin décidé d'arrêter de chanter pour aller se refaire un peu la voix pour la fin de journée. Mais ce calme certain ne laisse jamais place à la solitude, on s'y sent toujours bien. Pour se rafraichir il n'y a qu'à piquer sur les arbres fruitiers et croquer dans les pêches, abricots et figues si sucrées. Pommes, prunes, cerises se laissent désirer.  Et lorsque 19h arrive, notre corps semble un peu moins lourd à porter, les perles de sel ont fait leur dernière glisse sur le front, pour s'évaporer sur la paupière encore brûlante. Le chemin se rempli à nouveau de poussière, on entend tousser au battement des pédaliers. Paraît que des tarentules sortent des herbes sèches pour aller trouver un gueleton un peu plus loin, elles ne m'ont jamais fait l'honneur de se présenter à moi, je n'insisterai pas. Tout doucement le soleil va caresser la Cordilliere, puis lui faire fasse, avant de lui donner sa dernière révérence. Les moustiques arrivent en mission commando, leur stratégie est toujours meilleure que la notre, y'a pas à faire. C'est donc proche de la crise de nerfs, la peau en feu, gesticulant dans tous les sens, qu'on assiste à l'arrivée des étoiles;  le ciel vierge se rempli d'un plafond spectaculaire. Le moment de s'accompagner d'un Carmenere qui va exploser en bouche, ou tous autres Pinot et Sauvignon, qui peuvent avoir bonne réputation. La difficulté est de s'arrêter, les yeux posés sur la prochaine cuvée à venir. Pourtant il nous fait suer le vin, à quatre pattes dans les vignes pour s'en occuper. Mais ça lui donne bien sûr un goût de meilleur, de connaître toute son histoire au moment où résonne le bouchon de liège. Plop. A vôtre santé.