L'océan, à 3800 mètres d'altitude, immense, d'un bleu obscure que les nuages viennent intensifier, agité par les vents de l'altiplano, mais sans les ambruns marins, il est deboussolant le Lac Titicaca. Il fait perdre la tête, nous prive de nos repères, nous fait croire à des choses.
Lorsqu'on le voit du haut de la Isla del Sol, on se sent en paix. Simplement les bruissottements de l'herbe qui craquent sous les dents des chèvres et des moutons, je me demande s'ils ont conscience de la chance de brouter face à une vue pareille? Et comme je ne suis pas encore suffisamment defasee, ces gentilles bêtes sont venues ajouter un argument supplémentaire au fait que j'ai cru me trouver en Irlande. Quand je vois ce qu'il se passe devant moi, je suis à deux doigts d'entendre Sardou chanter, et je me dis que ça va être sport de danser le Connemara à 4000 mètres. Des deniveles de prés verts, face à une eau bleue foncee offerte par de gros nuages sombres. Je me suis sentie au sommet des Cliffs of Moher, un jour de temps hasardeux, au fin fond de la Bolivie, face à l'immensité de ce lac que je m'efforce à imaginer pour ne pas croire que c'est l'océan. C'est une fois de plus la Cordillère qui vient faire la différence. C'est là tout le pouvoir de la nature. Être surprenante.
Je reste seule toute en haut d'une haute colline, où l'altitude m'avait rappelé à l'ordre pour la grimper (oui mais en Irlande c'est pas si haut, je sais plus où j'en suis moi oh...). J'ai la nature rien que pour moi et je comprend alors "tout le prix du silence" (fallait que je la place celle là).
Le soleil se couche doucement, j'admire les jeux de lumieres reflétant sur les mouvements du lac. On est bien en Amérique latine, on dirait qu'il danse une Bachata. Mon regard se pose alors sur une Chopita en contre bas, avec sa pelote de laine enroulée autour d'un baton, elle tisse face à ce tableau incroyable. A t-elle, elle aussi, tout comme les moutons, conscience de la beauté de ce qui l'entoure? Elle n'a certainement jamais vu que ça.
Sur le chemin du retour, je me dirige dans l'ombre de la nuit jusqu'au petit village en bord de m..., en bord de lac. Deux ânes sortent tout d'un coup d'une maison, pour venir grignoter l'herbe du chemin.  Et eux, ils ont conscience de la chance qu'ils ont de pouvoir rentrer dans une maison ?