Les corps se secouent, dans le bus pr Santa Cruz, parfois sursautent. Le bruit sourd du vieux moteur juste en dessous, les gling gling de la carosserie qui a déjà bien travaillé, on lui a d'ailleurs offert une rayure de plus sur le parking de la station de bus en emportant avec nous un gros chariot métallique. Mais il faut avouer qu'il est tout aussi compliqué de sortir d'un parking bolivien que d'un marché turc un jour de grande abondance. Ca fourmille de tous les côtés. Malgré tout le chauffeur ne s'arretera pas, on entendra racler tout le long du cylindre. 

Sortie de Sucre, les virages se succèdent, n'en finissent pas, virtigineux à plus de 4000 mètres d'altitude. La route est époustouflante, à ras de falaise, je ne perd pas une miette de ce qui me passe dans les yeux. La puissance d'un décors sur une route parfois au dessus des montagnes, une vue plongeante de dégradés de verts, de vallons s'amusant aux ombres chinoises avec le soleil, et parfois des petites maisons de briques perchées en haut d'une de ces infinies collines, mais comment sont-elles arrivées là? Et bien, j'ne sais pas.

Trente sept places. Le siège 37 m'a été décerné. La place éjectable. Celle du fond, au milieu. Mais soyons honnêtes, ce n'est pas vraiment une place hein? Pas d'appuie pieds, le siège ne s'incline pas, et surtout soyons clair, si le chauffeur champion appuie trop fort sur le champignon, avant de freiner pied au plancher pour éviter des choses qui me sont encore inconnues (mais ça freine souvent ce qu'il y a de sûr) je traverse le couloir. En volant. Une fois assise, seule dans le bus, va savoir pourquoi on m'a fait monter si tot, je me dis que j'aurais certainement dû négocier le prix. Ben quoi? une place comme ça, ne se paie pas au prix fort si? Tic tac, tic tac. Ceci dit je ne l'ai pas payé bien cher, 90 bolivianos. Tic tac tic tac... Ca fait tout juste 12 euros, pour 14 heures de trajet. Tic tac tic tac... en fait meme pas un euro de l'heure, la vie est quand meme pas chère ici. Tic tac tic tac. En fait, j'aurais eut honte de négocier ca. Et puis, qui sait, peut-etre qu'on m'a fait une réduction ? Non, il n'y a pas de réduction pour les touristes. Et vu ma tronche, difficile de me fondre dans la masse. Et puis je pense que finalement je ne sais pas trop encore comment ils sont les boliviens, leurs réactions, leurs facons de vivre, comment les aborder, ca fait tout juste trois jours que je suis ici. Tic tac, tic tac... Mais pourquoi je réfléchi à tout ca?! Toute seule, au fond du milieu, ou au milieu du fond...mais que font les gens, c'est l'heure de partir les gars, oh!  J'imagine alors la nuit que je vais passer là, finalement ca me fait rire. Et il n'y a pas que moi qui vais rire. En effet, lorsque les gens se sont (enfin!!!) decidés à monter, et qu'ils m'ont vu assise au fond, ils se sont mis à chuchoter et ricaner entre eux, en me devisageant.
Je me suis alors sentie pingouin dans le Sahara. Qu'est ce que je dois faire, lever la main ? Hey...coucou c'est moi... oui oui, je sais, moi non plus je ne sais pas trop ce que je fou là, hahaha... Voilà voilà. Génial, je paye et en plus je dois faire le spectacle. La place du clown. On va me prendre en photo? Non? Roh dommage...! 
Je respire de soulagement lorsque le bus démarre (enfin!!! 2ème volet). Je ne peux alors m'empecher de réaliser un peu ce que ressente tous ces gens qui porte une petite ou parfois plus grande "différence", même si on sait bien qu'il n'y a pas de normalité.
Ici, il s'agit simplement de décalage culturel, et bien sûre c'est amusant d'essayer de comprendre ce qu'il se passe dans leurs têtes, et d'observer la manière dont je dois me comporter. Je pourrais quand même voir régulièrement, avant que la nuit tombe, des visages se pencher des sièges, passer la tête dans le couloir, pour me regarder, les yeux intrigués ou rieurs. 

Il faut dire que les trente six autres ne sont que des boliviens. Et des vrais de vrais. Avec des jupes de toutes les couleurs, des tresses jusqu'aux fesses, des visages aux traits exigus, tracés secs, parfois le regard sombre, la plupart ne ressemble pas à des descendant de conquistadors mais plutôt à des incas. Qu'est ce que cet individu à la peau blanche et aux cheveux clairs fait dans ce bus? J'apprend finalement par mon voisin numero un (une cinquantaine d'années, adorable), que les touristes normalement ne prennent pas ce petit bus local pour les longues distances et me "rassure" en me disant que c'est normal si je ne comprend pas ce que les gens disent, pour la plupart, ils parlent en quechua. Voilà voilà. Mon voisin numero deux lui, ne fait que se marrer dès que je bouge les lèvres, il me donne des bonbons à la menthe tous les dix kilomètres, je dois lui faire peine? Ou peut être veux t-il savoir si les européens supportent une quantité excessive de bonbons à la menthe? J'aurais les dents qui colent mais l'haleine super fraiche quand il décidera (enfin!!! 3ème volet) de dormir. Voilà voilà. Quant á mes voisins numéro trois et quatre á ma gauche, nous ne parlerons pas, ils garderont ce regard qui n'appelle pas à la discussion. Le décalage entre mes compagnons de droite et de gauche me fait d'ailleurs rire. Je finirai par m'endormir en me disant que c'est tout de même intriguant de passer la nuit les épaules collées contre deux individus si étrangers. 6h30 tout le bus sursaute, une musique à la "ce soir c'est soirée Discoooo! Youhouuu, vamos, y un, dos, tres, quatro..." dix secondes de musique pour quinze de blabla, ca me rapelle le DJ de la Peronelle. Et tout ce joli son sortie d'un téléphone trentenaire. Et bien c'est voisin bonbon à la menthe, bien à son aise, crachotant par la fenêtre, qui nous fera profiter de tout ca, juste une petite heure. Je ne voudrais pas être dans sa salle de bain tous les matins.