La spontanéité de l'enfance, qu'est-ce que c'est beau. Qu'est-ce que c'est bon un enfant qui se jette dans tes bras alors qu'il ne te connait pas. Si toi tu n'es pas sûr de savoir les aimer, eux ils ne te laissent pas trop le choix. Et si tu penses t'en tirer sans trop t'attacher et bien c'est foutu, ultra foutu. Les présentations ne sont pas terminées qu'un échantillon de marmots à la voix suraigue viennent s'accrocher autour de toi alors qu'ils ne savent pas encore comment tu t'appelles. Ils ont des tas de questions à te poser, ça n'arrête pas, et j'ai beau m'en poser moi-même souvent, jamais des comme ça. 
Chaque matin, le plaisir de les retrouver devient un peu plus grand, en même temps que nous aprenons à nous connaître. Parfois ils sont plus rigoureux qu'un contrôle de douane à l'aéroport, ils analysent tout. De la couleur de tes cheveux, au nombre de bracelets à tes poignets en passant par "pourquoi t'es pas habillé comme hier?" A cette question je me suis dis qu'en France on me demanderai plutôt pourquoi je suis habillée comme hier... A tout moment de la journée,  il y a un petit crapaud pour venir te faire un bisou baveu, ou te mettre son balon dans la figure. On dira que les deux sont malgré tout une marque d'affection, à chacun sa manière d'attirer l'attention! 

Les plus jeunes, lorsqu'ils m'entendent parler, me regardent fixement, généralement la bouche entrouverte, sans un battement de cil. Silence. "Tu me comprends?". Hochement de tête, en principe qui veut dire oui pour ne pas me fâcher, le regard vide. Ca me fais toujours rire, mais eux en plus de ne pas me comprendre, ne savent pas non plus pourquoi je ris. Quel drôle d'individu, je peux lire dans leur regard. L'étape suivante est un machouillement de crayon, sans me perdre des yeux. Et d'ailleurs il y a finalement bien que les yeux qu'ils me restent pour échanger, la communication verbale s'approchant parfois du désastre. Ils crachent des syllabes, qui ne s'accrochent à aucune zone de mon cerveau. Je n'ai pas encore le level espagnol pour enfants. Heureusement, dieu merci le non verbal existe, des jeux de regards se mettent alors en place. 
Il y a le regard accompagné d'un sourire, à celui-là soit ils baissent la tête un peu gêné, soit ils envoient un méga sourire, dans lequel il manque souvent quelques dents de lait. Le regard punition, celui-là ne marche jamais. Le regard rieur pour dédramatiser les devoirs, marche pas non plus, on ne fait pas les devoirs. Le regard complice qui montrent qu'on a vu qu'il y a eut une bêtise de faite mais qu'on ne dira rien, rien de tel pour être dans leurs petits papiers, somme toute à ne pas abuser. Le regard, tu viens me faire un bisou? Marche mieux qu'avec ton mec. Le regard, je ne suis pas contente, ca me fait de la peine, et bien y'a bien qu' à toi que ça fait de la peine. Le regard bienveillant, marche pour tout, tout comme le regard de confiance. 
Les un peu plus grands eux comprennent approximativement ce que tu dis, mais te corrigent sur tout. Mais alors sur tout. Ils n'ont pas encore l'inhibition (ceci dit parfois trop grande) de l'adulte, et bien c'est bien utile! De vrais petits profs et en plus ils aiment ça. Ils reprennent avec moi les bases de la prononciation, et des définitions. Ah ben merde du coup t'as pas fait tes devoirs? Bon demain hein... Mais finalement je me dis ce n est pas inutile pour eux, on appelera ça de la validation d' acquis!
Les ados, eux ils kiffent grave le français. A longueur de journée "et comment ça se dit ça en français?  Et en France c'est comment?". Et ils sont incroyablement responsables avec les plus jeunes. En fait c'est assez fou de voir la bienveillance qu'il y a entre chacun d'eux. Celui de sept ans qui aide celui de six à faire ses devoirs, celui qui sait dessiner qui apprend à celui qui ne sait pas, celui qui pleur qui va dans les bras de celui qui le cajolera, celui qui mange qui donne à celui qui ne peut pas... Et losqu'on me demanda de faire un peu de prev' santé,  je me demande bien qui a appris le plus entre eux et moi... peut être bien moi.
J'ai compris avec le temps, les difficultés auxquelles ils faisaient face. La promiscuité dans laquelle ils vivaient. Le manque d'attention parfois dont ils souffraient, parce que les fratreries sont nombreuses, parce que les parents sont partis tenter de refaire un peu mieux leur vie, en Argentine ou au Chili. Les repères leurs manquent, ils savent comment conduire une moto, vendre de la marchandise dans la rue, négocier des prix, en connaisse un rayon sur tous types de trafics...mais ne savent pas lire et à peine compter. Et lorsque Miguel Angel, 8 ans vient te voir chaque après-midi, un livre à la main, pour apprendre à lire ensemble, et que chaque jour c'est une syllabe de gagner, et bien ça te prend au cœur. Des émotions se sont infiltrees en moi, de façon bousculée, entre la stupeur de l'analphabétisme, un mélange de colère et de tristesse en entendant certains rire lorsqu'il lisait, beaucoup de détermination parce qu'il va y arriver, de la fierté en voyant ses progrès, un bonheur démesuré en voyant ses sourires lorsque le mouvement de ses levres apportait un mot, une phrase, une page en entier... Une grande frustration de laisser ce travail en chemin. De renoncer à ces relations qui s'etaient créées, aux habitudes que l'on avaient pris ensemble, une sorte de routine du soutien, d'abord un câlin, puis les plus courageux qui te demande de venir les aider, pour d'autres la nécessité de stimuler l'apprentissage, et souvent ça paie. Je repense à la matinée avec Maria Ana, a réciter les tables de multiplications de façon acharnées, entre la crise de nerfs, et les rires fatiguées. ..et lorsque le lendemain elle en redemande encore parce qu'elle veut y arriver, la on peut poser sur elle un regard de grande fierté. Je me suis sentie révoltée,  lorsqu'un enfant pleur de douleur parce qu'il a une fracture au pied, mais que la famille n'a pas les moyens pour le soigner.
Et puis j'ai aussi halluciné, régulièrement lorsqu'un enfant était absent "ah oui, il a le chingungunya, il reviendra demain" ah bon, c'est donc notre rhume à nous...  Dire que nous on en parle comme si c'etait le choléra.

Avouons qu'ici on a pas peur de grand chose, le seuil de sécurité n'est pas le même que chez nous. 
A Montero, il y a des taxis-moto. Des centaines de motos qui circulent toute la journée, klaxonnent à tout bout de champs pour prendre des passagers. Certains vivent aux sons des chants d'oiseaux, à Montero c'est une fanfare de moteurs. Pas mélodique tout ça. On monte sur ces motos à deux,  à trois, pourquoi pas à quatre,  pour économiser les trajets. Un bambin qui ne sait pas encore marcher sait déjà tenir le gidon d'une bécane et ça lui donne pas envie de pleurer, derrière le conducteur, la mère avec entre ses jambes le deuxieme enfant, et parfois un nourrisson dans les bras, alors qu'elle a la moitié des fesses qui regardent le vide. J'admire le jeu d'equilibriste. Notons que le code de la route, semble aléatoire, ou alors ca fait longtemps que je n'ai pas conduit. Ça vient en tous sens, mais étrangement on a l'impressiont que rien ne peut arriver. J'en ai conclue après plusieurs jours d'analyse, qu'ils devaient finalement rouler au feeling. Et surtout, comme dans beaucoup d'endroits en Amerique Latine, un chauffeur qui ne klaxonne pas n'est pas un chauffeur. On klaxonne pour tout  (et n'importe quoi) "coucou c'est moi!" "Je suis là " "attention j'arrive" "je tourne à droite" "coucou Marco!" "Oh tient une femme tut tut!". 
À ce remue menage, s'ajoutent des charrues; on dirait un mirage à chaque fois que j en voie passer une, les secondes s'arretent, je délecte la douceur du frottement des roues sur le bitume, et le claquement des sabots, qui traversent lentement...c'est doux... et puis brutalement, une foire de motos qui redémarre, en crachant de la fumée noire, je reviens à la réalité. Les chiens qui errent dans les rues, les cochons sur les bords de routes qui font des écarts idiotement...autant d'options qui pourrait faire chavirer une moto 4 places. Et pourtant chaque matin, lorsque je monte sur cet engin, je savoure le vent humide, il sèche un peu la transpiration que l'on sent déjà dès le saut du lit, à cet instant il me semble que le moteur ronronne, le soleil est tout juste levé, je regarde la ville s'étirer en baillant, je sens les odeurs des différents quartiers. Pleine d'envie et d'espoir je roule vers le comedor, persuadée que nous allons vivre une belle journée. Devant l'entrée, les enfants sont déjà là, ils te voient, ils courent vers toi, et te couvre d'affection. Voilà une belle raison d'espérer, qu'ils gardent cette douceur pour une vie entière, ce sont eux, le monde de demain.