Fin prêt. Dès le premier pas fait dans le Torres del Paine, on sait qu'on va apprécier ses 8 jours coupé du monde. Et c'est une nouvelle famille que l'on se fait, avec des liens un peu plus particuliers. Ceux du t'as vu ta tête ce matin, j'ai les pieds défoncés, j'ai plus rien à manger, je suis trempée mais j'ai sauvé notre dîner, et! t'as vu le dénivelé?! Je comprends rien tu me parles en français, pouaaah c'est trop beau j'ai le souffle coupé, on se prend dans les bras, attention j'enlève mes chaussettes, on se perd, on se retrouve, on se reprend dans les bras, un chocolat chaud parce qu'il fait froid, et des fruits secs parce que c'est sucré; l'adrénaline, en haut, en bas, on tourne, on remonte, et puis, il faut redescendre, des décors nouveaux à chaque virage, et puis le col Dickson et soudain un glacier. Le glacier Grey. Immense. On est là, silencieux, juste nous. Fasciné. Quatre jours pour y arriver, et de longues minutes pour le contempler, l'écouter, et des condors au dessus de nos têtes pour nous surveiller. De l'autre côté une vue vertigineuse. On se sent alors bel et bien, à ce moment là, au bout du monde, minuscule. Ebahie. Une énergie de fou, le sentiment que tout est possible. La beauté du monde. Vivant.
 
Michael et Tristan des États-unis, Julia d'Angleterre, les plus hippies de Patagonie, une vie alternative mais toujours en phase avec les autres, et Anne autrichienne, nous voilà tous les cinq à partager du bonheur. 
Premier jour pourtant, 20kms seule, je ne croiserai personne, jusqu'au Seròn. Le temps de tout analyser, de penser à tout plein de choses, d'observer les arbres carbonisés d'un malheureux incendie; le noir cendre contraste avec le blanc immaculé d'un glacier au loin, et dans le champ de vision le Torres del Paine, déjà. De quoi laisser bouche-bée les plus blasés. Le long du Rio Gallagos, bleu turquoise, la marche est parfaite, l'eau est delicieuse. Du soleil, je m'arrête. Prend le temps de me crèmer. Et je repars. Regarde au loin, et pas plus tard que cinq minutes apres, je prends la grande décision d'imperméabiliser le sac, le vent se lève d'un coup, amenant avec lui de gros cumulus. Sage décision! Voilà que la pluie me tombe dessus faisant degouliner l'indice 50 sur mon visage. Et elle ne fait pas semblant. Je me marre, en me disant que Vivaldi a dû s'inspirer de la Patagonie pour composer ses quatres saisons. Voilà alors que le Rio Gallagos me bloque le passage, pas énorme mais de l'eau jusqu'au genoux et, un peu nerveux, il a du bouillon. Je commence alors a chercher à droite, à gauche un pont, mais comment passer? La pluie bat son plein. Le vent me secoue. Je me dis soudain que c'est étrange, voilà des kilomètres que je marche, et je n'ai croisé personne. Je me suis peut-être trompée de chemin. Non, tout le monde m'a dit qu' il était impossible de se perdre. Mais c'est bien connu, impossible n'est pas Jessy. Je suis peut-être bien perdue. Autour de moi, des champs à perte de vue, et ce rio machin qui croise les bras. Il devait y avoir un autre chemin et je ne l'ai pas vu. Je suis certainement perdue. Je suis trempée. Bon, okay, je suis perdue. Ah! Et j'ai oublié ma serviette à l'auberge tient. Je me marre comme une banane. J'ai a manger pour 8 jours dans mon sac, voilà qui me rassure. Allez, prise de décision, on enlève chaussures, chaussettes et tout le barda, et on traverse, et hop! Avec le vent, le courant et le poids du sac je me concentre. Bien fort. Une fois de l'autre côté de la berge, je me félicite. Même si je suis toujours? Peut-être? Perdue? Je ris encore, je finirai bien par arriver quelque part. Et j'y suis arrivée au campement Seròn! Et c'est donc 5 minutes après mon arrivée que je ferai connaissance de notre fine équipe de vaillants qui m'apprendront que j'ai bel et bien fait une Jess. (Ou une fless comme on dit dans le jargon clermontois)."Quieres hacer Into the Wild?! Jajaja" les dés sont jetés, je crois qu'on va bien se marrer. Faut avouer que pendant 8 jours je les ai gâté mes compagnons de rando! J'ai alors beauuuuucoup pensé à mes chers amis tencois et clermontois, je les entendais rire de là! On passera la fin de journée au soleil dans un pré, et puis 20h, Vivaldi repasse en mineur, le vent et la pluie s'accorde à nouveau pour tempeter. J'ai une tente monoplace ridicule, qui ne m'inspire que très peu, mais quand je regarde celle de mon voisin espagnol, je ne peux que relativiser. Il fini par accrocher une partie de sa tente à la mienne, je me marre en me disant qu'à la prochaine bourrasque ce sera mon voisin de palier. 
Deuxième jour, direction Dickson, pluie, pluie, pluie. Trempés comme des chiens mais heureux comme des papes. Beaucoup disent que c est le meilleur campemement, je veux bien les croire, je n'ai rien vu, sauf du brouillard. Arrivée au refuge, je retrouve tout le monde. On est trop bien tous ensemble au chaud. Début de soirée petit creux. On décide alors avec Anne de se faire une petite soupe, sous la pluie, pas le droit de cuisiner à l'intérieur. On se met à l'abri, mais on finira finalement dans la cabane des guides de montagne, à manger un bon gueleton et à boire du vin chaud, parfaite soirée avec ces chiliens du bout du monde! 
Le troisième jour le réveil aurait pu être difficile, mais lorsque la fermeture éclaire s'est entrouverte, je découvre le spectacle du campement Dickson et je remercie la nature de me donner cette opportunité. Je vois Anne partir au loin. En speedant un peu je pourrais la rattraper. C'est donc après quelques 20 minutes aux pas de course que je la rattrape, en effet. Mais ce n'est pas Anne. Anne est toujours au campement. Gros fou-rire avec cette inconnue dont je ne connais pas le nom. J'ai donc fait demi tour pour que l on marche tous ensemble, et deuxième gros fou-rire quand ils m'ont tous vu débarquer. "On se demandait pourquoi tu étais parti aussi vite quand on t'a vu courir au loin! Ahah"
Jusqu'au campement Los Perros ce sont des bois, de la rocaille et de la grimpette. Au sommet, un vent à decorner les boeufs, et une lagune vert émeraude au milieu des rochers. On courira comme des gamins sur les hauts tas de terre avec le lac en contrebas. On passera la fin de journée à chercher mon matelas, à discuter avec des chiliens, dont une famille de trois triplets à la langue bien pendue, à chercher ma gourde, à jouer aux cartes, à boire du Gato, à chercher ma frontale et à cuisiner un bon petit plat parce que même au milieu de nulle part, il ne faut pas se laisser abattre. 22h, tout le campement s'éteint, mais comme nous sommes un peu chanceux, pour nous c'est l'heure de danser! Au final, ce sont bien les zygomatiques qui ont le plus de travail.
La puissance du Paso, incroyablement beau, le temps suspendu, le campement Grey et la rencontre avec Andreas la plus fun des chiliennes, le Frances à côté de la tente/réception de Juan Pablo et le son des avalanches au loin comme un bruit de tonnerre, pour d'autres le campement Italiano... sans toujours faire les mêmes refuges, et sans se chercher, tous les jours on se retrouvait, et à chaque fois il nous semblait ne pas s'être vu pendant des jours, tout était décuplé! Le bonheur de partager la vue du Britannico ensemble, et ... les ultimes retrouvailles au Chileno. Dernier soir, on doit fêter ça. Du monde se joindra à nous, et au son de la guitare on chantera jusqu'à 2h, avant de grimper quelques 5kms, pour regarder le soleil se lever en haut du Torres del Paine. La boucle est bouclée. 
Et lorsque je reviens à nouveau chez Kike à Puerto Natales, je me dit que c'est bon de rentrer "chez soi".